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Review of Books
July 2, 2002

« Chaque poème, pour moi, a sa partition. »

par Beatriz Berger

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David Rosenmann-Taub, un génie ? C’est ce que confirme, du moins, l’histoire de cet enfant de parents polonais, né à Santiago du Chili en 1927. Il apprend à lire à un an et demi et écrit à trois ans ses premiers poèmes. Alors que son père, polyglotte et lecteur critique, l’introduit dans le domaine littéraire, sa mère, pianiste, lui apprend à jouer de cet instrument lorsqu’il n’a que deux ans. A neuf ans, il prend en charge son premier élève.

« Le piano et l’écriture – affirme maintenant Rosenmann-Taub – font partie de moi, au même titre que mon corps. Mes parents ont protégé ce qui était naturel en moi. Ils ne m’ont pas établi une voie déterminée : ‘Tu dois faire cela’. Non. Justement, ils voulaient favoriser ce que j’aimais. Mon père aurait pu considérer que je faisais quelque chose de moindre importance, lorsqu’un matin, très tôt, il m’a surpris en train d’écrire des vers, mais il m’a dit : ‘Tu peux ne pas aller à l’école si tu veux écrire’. Et mes parents n’ont jamais interféré avec mes jeux. Ma mère affirmait: ‘Jouer, pour un enfant, c’est un travail’. Lorsqu’une personne a des capacités pour quelque chose et a la possibilité de les développer, est-il un génie ? Dans ce monde, il est difficile de vivre selon ce pour quoi nous sommes faits. Tout comme un pommier ne peut éviter de produire des pommes, je n’ai pas pu éviter de parfaire mes facultés de pensée.

Et vous avez commencé à écrire avant d’apprendre à écrire.

« Je dictais à ma mère mes idées; très vite j’ai pu le faire tout seul. J’ai toujours écrit. L’amour pour les lettres, je l’expliquerais comme un mariage. Je suis marié avec les lettres. J’aime ma femme, et je suis fou d’elle. C’est un bon mariage, parce que ma femme est folle de moi aussi. L’influence de mes parents a été très forte. Du point de vue intellectuel, dans tout ce que j’ai lu, j’ai trouvé une distance astronomique entre la pensée de ma mère et celle des romanciers ou celle des philosophes. »

Ainsi, la musique et la littérature s’unissent au corps et à l’âme du poète:

« Jusqu’à l’âge de quatorze ou quinze ans, on aurait pu les qualifier de ‘passions’. Après? Mon monde créatif est ma respiration. Pedro Humberto Allende, mon professeur de composition musicale, m’a dit ‘Vous allez vous consacrer uniquement à la composition musicale’. Je lui ai répondu : ‘J’étudie la composition musicale pour la poésie, et la composition poétique pour la musique’. D’un air sceptique il m’a dit: ‘Vous plaisantez?’ Il ne s’agissait pas de choisir une chose à la place d’une autre. Ma poésie et ma musique sont deux amies qui s’aident beaucoup. J’écris en musique, j’écris en espagnol. Lorsque j’ai étudié d’autres langues, je l’ai fait pour approfondir mon langage musical et mon langage poétique. Je ne peux pas nier qu’entre dix et douze ans la musique de Schumann a influé beaucoup sur moi. Ecouter ma mère jouer les ‘Etudes symphoniques’ et le ‘Carnaval’ a affecté ma vie. Cela m’a habitué à l’idée que ce j’aime le plus va disparaître. Une de mes compositions pour piano s’intitule ‘Mourir pour naître’. C’est une expérience quotidienne: pour naître le mardi, vous devez mourir le lundi. Nous portons tous le cadavre de notre passé. Être demain m’exige de mourir aujourd’hui. »

Vous avez un esprit investigateur ; lorsque vous faites des études hispaniques à l’Institut Pédagogique de l’Université du Chili – vous recevez votre diplôme en 1948 – vous assistez également à des cours d’astronomie, d’anglais, de français, de portugais, d’esthétique et d’art. Plus tard, sur les conseils d’un ami d’Einstein, vous avez étudié la physique :

« Tout cela m’a été d’une grande utilité, et, bien sûr, la physique aussi. Sa connaissance est inévitable. Même si l’information dont elle dispose est très primitive jusqu’à présent. De plus, le monde physique se répète dans le monde psychique. Il n’y a pas en fait le monde externe et le monde interne. De nombreux aspects de la physique sont essentiels pour comprendre la psychologie. J’ai également assisté à des cours d’anatomie et de botanique. Je ne parle pas de ce que je ne connais pas. »

En 1976 il reçoit une bourse de l’Oriental Studies Foundation pour écrire Bracelet d’Europe (Ajorca de Europa) et pour donner des conférences à New York. Parmi les différentes activités de sa vie, il cultive l’amitié. Il dit à propos d’Alberto Rubio et d’Armando Uribe qu’ils sont des ‘poètes très doués, des amis au caractère propre, et fidèles’. Il précise qu’il y a des écrivains avec lesquels il a été brièvement en contact, mais qui ont beaucoup compté pour lui ‘de par leur bonne volonté, leur absence d’envie, et leur désir d’aider’. Il mentionne Antonio Undurraga, Luis Merino Reyes, Joaquín Ortega Folch, Luis Sánchez Latorre, Augusto Iglesias... « Au Chili, comme partout – ajoute-t-il –, il y avait des individus qui avaient la prétention d’occuper tous les lieux, et qui agissaient comme des vedettes agressives. Heureusement, il existait un groupe, pas très nombreux, d’intellectuels curieux et généreux : Hernán Díaz Arrieta (Alone), Mariano Latorre, Ricardo A. Latcham, Julio Arriagada, Enrique Molina, Samir Nazal. Humainement, c’étaient des trésors’.

A partir de 1985, il s’installe aux Etats-Unis, et se consacre à ses activités artistiques et à donner des cours de littérature, de musique et d’art. De plus, il enregistre ses compositions pour piano, il rassemble ses dessins et il écrit. Depuis l’année 2000, CORDA, une fondation à but non lucratif, sauvegarde et diffuse son travail. « La préservation de mon œuvre m’offre la paix », reconnaît-il.

Il n’a pas été facile, cependant, de découvrir l’endroit où se trouve David Rosenmann-Taub, considéré, par Alone, comme « un précurseur, capable de secouer la routine de vingt ou trente ans de poésie ». Une recherche presque digne d’un détective, nous a menés d’une piste à l’autre, jusqu’à ce que finalement, le poète décide de rompre, son long, son très long silence.

Qu’est-ce qui vous a conduit à devenir, dans notre milieu, un marginal à l’ « identité voilée », comme disait Juan Luis Martínez?

« Une des choses dont je suis reconnaissant envers mocn pays, c’est que j’y ai trouvé beaucoup de difficultés pour publier. Chez un artiste qui veut l’être honnêtement, sans se trahir, qui ne veut pas être un judas à l’intérieur de lui-même, le fait de ne pas trouver de réponse est très favorable. Il y a un accord avec moi-même dès le début : je n’ai jamais écrit pour aujourd’hui. J’ai écrit et j’écris pour hier et pour demain, en pensant à nourrir ceux qui sont partis et ceux qui viendront. Le présent est le lieu où je m’installe pour écrire en direction du passé et du futur. Du point de vue de la pensée, le présent est le temps le moins réel. Du point de vue de l’inspiration, oui, c’est le seul facteur qui me meut : je suis vivant. »

Inspiration derrière laquelle il y a un travail ardu. Comment développez-vous votre travail?

« Ecrire et écrire. Lorsque je prends le crayon, il y a déjà eu beaucoup de brouillons dans ma tête. Je ne respecte pas l’improvisation : je ne la sens pas mienne. Une œuvre artistique, pour être aboutie, doit paraître l’effet spontané d’une cause spontanée, même si elle est la conséquence d’un processus naturel complexe. Par exemple, les très élaborés "Impromptus" de Schubert ou les tableaux de Vermeer, qui semblent créés sans effort. C’est ce que j’appelle l’art. Un crayon bien taillé, une bonne gomme tout près et beaucoup de papier m’ouvrent l’appétit et m’accélèrent. La séduction de la feuille blanche, pour l’embrasser et l’embraser, à travers l’acte d’écrire. »

Dans cet acte d’écriture, y a-t-il quelques auteurs que vous considérez indispensables?

« La vie immédiate est tellement forte pour moi qu’elle éteint les autres résonnances. Comment pourrait m’affecter toute la culture face au fait de marcher, un jour, une heure, dans une rue ? L’étude, la recherche, le perfectionnement sont des choses complètement différentes à l’acte de création en soi. Le seul auteur qui m’est alors indispensable, c’est moi. »

Mais je crois savoir que la poésie de San Juan de la Cruz et de Juana Inés de la Cruz a été fondamentale pour vous.

« Ils ont été fondamentaux pour l’histoire de la poésie, pas pour moi. Chez Juan de la Cruz j’observe la même chose que chez Teresa de Avila: un esprit halluciné, d’une intelligence souveraine, au delà de la vie sur la planète. Juana Inés de la Cruz a réalisé dans ‘Primero sueño’, une imitation des ‘Soledades’ de Góngora: ce qui chez Góngora obéit à des fins plastiques, chez elle obéit à des fins conceptuelles. Plus qu’une poétesse, plus qu’une femme, elle est une force qui embellit toute chose. »

De la même manière que le musique est incorporée dans vos vers, la poésie influe-t-elle sur vos compostions musicales?

« Il y a des éléments de la musique, de la peinture, de la littérature, de la sculpture, de l’architecture, de la photographie, qui m’émeuvent. La littérature et la peinture m’aident à éclaircir davantage ma pensée musicale. La littérature m’a aidé aussi dans le dessin: Historia de las Indias de Bartolomé de Las Casas et Les âmes mortes de Gogol ont éveillé des images en moi. Certaines de mes œuvres musicales ont un lien avec Thackeray et Tolstoï, dans l’aspect formel (pas dans l’aspect conceptuel) : j’ai voulu, comme dans Vanity Fair et Ana Karenina, qu’une seule voix soit distribuée en plusieurs voix. Jusqu’à présent j’ai enregistré environ cent CDs de mes œuvres pour piano. Ma réaction face à la non-civilisation, à l’égoïsme qui prédomine dans la conduite humaine, ma protestation, mon indignation, ma répulsion ne s’expriment pas chez moi avec des mots; ils apparaissent en revanche dans certains de mes motifs musicaux. Quand je me plains du monde historique, cela apparaît dans quelques unes de mes compositions. Dans ma poésie, cela n’arrive qu’en de rares occasions. »

Quelle est la place du silence dans votre œuvre, en tant que partie intégrante de la musique?

« Le silence est fondamental en poésie. La sonorité du silence. Sinon le vers n’a pas lieu. Ne pas avoir conscience de ce silence, qui implique une césure, ou un passage au vers suivant, d’une strophe à l’autre, m’a montré jusqu’à quel point ce qu’on écrit dans une apparente forme poétique n’est pas de la poésie. Et le silence a une valeur fondamentale en musique. Pas moindre que celle du son. »

Des motifs de son et de rythme, vous conduisent peut-être à inventer des mots, à en fusionner certains ou à en accentuer d’autres où cela ne correspond pas aux codes grammaticaux.

« Non il ne s’agit pas de cela, mais de ce qui est nécessaire pour dire, et établir que l’usage du mot n’est pas conventionnel, ce qui n’est qu’un seul aspect du mot dans le langage poétique. C’est le grave problème de la littérature, particulièrement de la poésie: la langue conventionnelle tend à devenir une dictature et à s’imposer comme la seule langue unique. Les auteurs d’autres époques s’en sortent mieux, parce qu’ils ne dépendent pas de la langue du moment. »

Unamuno disait que pour apprendre à écrire il fallait oublier la grammaire.

Ce qu’Unamuno veut dire, c’est qu’il faut oublier les préjugés: être libre. Les grammaires sont a posteriori, non pas a priori. Mais il y a une tendance chez l’être humain à recevoir, sans discrimination, des ordres. La grammaire représente ce qui se fait majoritairement. La langue est logique et ne l’est pas. Si je suis artiste, la langue que je reçois est seulement un aspect infime de ce dont j’ai besoin: je dois créer ma propre langue : je ne peux m’exprimer avec les mots d’un autre, parce qu’ainsi je mens et je me mens. C’est une exigence indispensable. Il faut apprendre tout ce qui sert à satisfaire cette exigence. Et apprendre des choses qui sont inutiles confère une grande sagesse: celle de reconnaître ce qui est inutile. »

En vous écoutant réciter votre poésie, on est frappé par l’importance qu’acquièrent les voyelles.

« Un poème est un phénomène graphique, mental et sonore. D’une certaine manière, un vrai poème est une partition. De la même façon qu’on peut lire un texte de Chopin ou de Schönberg. Chaque poème, pour moi, a sa partition. Dans Quinze (Quince), un livre que j’espère publier bientôt, je fais des commentaires sur certains de mes poèmes, et j’inclus leurs partitions. Si le lecteur ne lit pas correctement, comment va-t-il comprendre ? »

Il paraîtrait que vous conférez une plus grande importance au son qu’au contenu dans vos vers.

« Tout est pour le contenu. S’il n’y a pas de contenu: rien. Comment la forme ou la sonorité aurait-elle plus d’importance que le contenu ? Le corps a-t-il peut-être plus d’importance que l’âme ? Séparer la forme et le fond est une théorie pseudo-didactique.»

« Le serpent flambe, défie/ la lucarne, s’enroule, elle me siffle, / parce que j’ai vécu la vie, pas ma vie. » («La serpiente llamea, desafía/ la claraboya, enróscase, me silba, / porque viví la vida, no mi vida.»), écrivez-vous dans Les Sillons Innondés (Los Surcos Inundados), 1951. Pensez-vous avoir trouvé votre propre voix? »

« C’est ma voix qui m’a trouvé. Dans votre remarque, il y a le danger de ne pas vivre sa vie personnelle, de vivre une vie selon les circonstances, comme une sorte de mode qui aurait de l’importance. Naître en Chine, au siècle passé ou il y a deux mille ans, ou naître dans deux mille ans en Amérique du Sud ou en Afrique, ne doit pas altérer qui je suis. Les circonstances sont une chose, l’individu, une autre. Cette célèbre phrase d’Ortega y Gasset, ‘l’homme et sa circonstance’, peut être une merveilleuse justification pour dire que personne ne vit sa vie, mais qu’on vit la vie de l’environnement. C’est peut-être ce qui est arrivé à Ortega y Gasset. Pas à moi. Même si la circonstance est très grave, on doit être soi-même. Au moins, dans son auto-dialogue. C’est vrai que la langue espagnole, c’est quelque chose que j’ai reçue. Nous recevons tout. On m’a donné le tissu, mais le costume c’est moi qui l’ai réalisé, et je continue à le réaliser. »

Dans toute votre poésie, on remarque que la présence de Dieu est importante:

« J’étais Dieu et je marchais sans le savoir. / Tu étais, Ô toi, mon verger, Dieu et je t’aimais ». (« Era yo Dios y caminaba sin saberlo./ Eras oh tú, mi huerto, Dios y yo te amaba»). Quelle est votre relation au divin?»

« Pour moi, le terme de Dieu est terrestre. Dieu est terrestre. Ce que j’appelle le divin c’est l’expression terrestre absolue. Cela n’a rien à voir avec le concept de religion, où je ne trouve aucune divine divinité. Le poème que vous mentionnez a été écrit quand j’avais douze ans. Je l’ai réécrit à Buenos Aires, après avoir perdu ma famille. Et je l’ai écrit très peu différemment du texte original. Ce qui me satisfait, ce qui me donne de la tranquillité, ce qui me procure de la joie, sans me demander une compensation en échange, je l’appelle Dieu. C’est pour cela que je dis : «J’étais Dieu et je marchais sans le savoir » («Era yo Dios y caminaba sin saberlo»). Cette tranquillité, cette satisfaction c’était Dieu. J’étais le verger. Croyant aimer les choses, c’était moi en fait que j’aimais. Parce que si j’aime quelqu’un, ce que j’aime c’est l’image que j’ai de l’autre. Je formulerais votre question de la façon suivante: « Quelle est votre relation avec vous-même ? »

Pourquoi, si vous avez écrit environ quarante livres, n’en avez vous publié que dix?

« La poésie n’est pas la même chose que le roman policier. On publie, généralement, non pas selon la qualité de l’œuvre, mais selon la dimension ‘vendable’. Il y a des éditeurs qui vivent de ça : ils achètent le produit qu’ils peuvent vendre. De leur point de vue, c’est raisonnable. Il existe aussi, l’éditeur plus ouvert, qui souhaite ou qui a besoin de faire des affaires, mais qui, ayant un sens artistique qui ne rompt pas avec l’éthique, veut aussi donner une direction transcendante à son activité. Arturo Soria, le propriétaire de la maison d’édition Cruz del Sur, s’est empressé de me publier, et il m’a dit : ‘Lorsque je partirai, qui va publier vos livres ?’ Il n’a pas eu le temps d’éditer le deuxième tome de Cortège et Epinicie (Cortejo y Epinicio), ni Pays au delà (País más allá), qui sont encore inédits. Pour en faire la publicité, Cruz del Sur a édité un disque dans sa collection ‘El Archivo de la Palabra’, dans lequel j’ai enregistré des poèmes de ces livres. Avec les maisons d’édition de mon pays, j’aurais dû payer pour publier. Durant de longues années, j’ai eu beaucoup de responsabilités financières envers ma famille. Je ne pouvais pas m’offrir ce luxe-là. Ensuite je me suis consacré exclusivement à mon travail artistique. La publication au Chili d’Apogée (Auge) et de la troisième édition du premier tome de Cortège et Epinicie (Cortejo y Epinicio) (qui compte quatre tomes) m’indique que l’esprit d’Arturo Soria se prolonge dans cette initiative de LOM ».

Le livre qui sera réédité au Chili est le premier que vous avez publié, mais ce n’est pas le premier que vous avez écrit, n’est-ce pas?

« Même si dans Cortège et Epinicie (Cortejo y Epinicio) il y a quelques poèmes que j’ai écrits à neuf ou dix ans, mon premier livre (encore inédit) s’’intitule Premier Opus (Opus Uno) et il contient les poèmes de mon enfance. Ces poèmes se trouvaient dans l’énorme quantité de manuscrits qui m’ont été volés. J’en ai retrouvé quelques uns et j’ai pu me souvenir de certains autres. Premier Opus s’achève avecL’Adolescent (El Adolescente), que j’ai écrit à quatorze ans, et duquel, il y a plusieurs années, j’ai fait une nouvelle version. J’ai remis une des premières versions à Antonio Undurraga, qui l’a publié, pour me faire une surprise, dans le premier numéro de sa revue Caballo de Fuego.

A quoi est dû le fait, selon vous, que Cortège et Epinicie (1949) ait résisté au passage du temps?

« Ce qui m’a conduit à écrire à nouveau, en 1978, le premier tome de Cortège et Epinicie, à Buenos Aires, après la mort de mes parents, c’était le désir d’être avec eux. Lorsque je l’ai écrit à l’origine, je savais qu’il y avait des blancs que je n’étais pas capable alors de remplir. Plus tard, j’ai été capable de les remplir. Sans avoir la première édition du livre avec moi, je l’ai écrit à nouveau. Et je n’ai pas regardé la première édition, jusqu’à la publication de la deuxième: une manière de confirmer la véritable force du livre. L’édition de Cortège et Epinicie, que LOM va publier, contient de petites altérations. Le temps ne passe pas en vain. Au moins ça c’est favorable.
Je ne parle pas de corriger. Ce n’est pas corriger. C’est s’approcher de plus en plus de la version réelle. »

Selon vous, quelle est l’évolution depuis vos premiers poèmes jusqu’à ceux que vous écrivez aujourd’hui?

« Ma poésie répond à cela. J’écris ce qui m’importe. Ce qui était important pour moi, lorsque j’avais trois ans, m’importe toujours aujourd’hui. Ce qui m’épouvantait, lorsque j’avais cinq ans, m’épouvante encore aujourd’hui. Ce qui m’attirait, lorsque j’avais dix ans, m’attire toujours encore. Ce qui ne résiste pas au passage des années est un échec. Quelle est la fonction de ma poésie, si elle ne résiste pas au passage de quelques années?

Parlons d’Apogée (Auge), votre nouveau livre.

« Sept des vingt-et-un poèmes d’Apogée, sont commentés par moi-même dans mon livre Quinze. Je me sens dans toute la splendeur de la maîtrise de ce que je fais. Mon inspiration n’a jamais eu de vacances. Quel nom donner à mon inspiration? Apogée ».

Pour terminer, quels défis vous a posé la poésie? Et qu’est-ce-que le fait de lui consacrer votre vie a signifié pour vous?

« La poésie m’a obligé à approfondir ma curiosité, à penser et à repenser et à penser encore, jusqu’à trouver une réponse en moi. La poésie est but et prétexte. Pour exprimer vraiment, il faut savoir vraiment. Vivre est un défi. Je n’ai pas dédié ma vie à la poésie. J’ai dédié ma vie à ma vie, qui est la poésie. »